Ahou numérique miniature n°9 (03/02/2023) : De la « misère » en milieu militant

Pour un graphisme pop-canin !

De la « misère » en milieu militant

Réflexions sur l’AG des luttes de Brest suite notamment aux AG des 19 et 31 janvier après les manifestations contre la réforme des retraites, sur les problématiques que soulève l’« assembléisme », sur la subjectivité libérale trop présente jusque dans les milieux militants, les ravages de la « pensée magique » et, sur l’organisation en général… Ceci, bien évidemment sans épuiser le sujet, il y aurait bien plus à dire… Précisons aussi que loin de stigmatiser telle ou telle organisation, ces critiques peuvent s’appliquer à bon nombre de collectifs, d’institutions.

De la pensée magique et libérale

Au fond quelqu’un va bien le faire. Je fais ce que je veux, quand je veux où je veux… Des responsabilités ? C’est une aliénation de ma liberté ! Si j’ai la flemme ou ne peux pas faire ce à quoi je m’étais engager ? A quoi bon prévenir… Et puis, il y aura bien quelqu’un qui le fera. S’appuyer sur le travail des autres. Certains ont sûrement plus de temps. Ce qui revient à ce que quelques uns fassent tout ou presque, des tâches concrètes.

Outre le problème démocratique, c’est surtout que ça n’a pas beaucoup de sens : il faut une dynamique collective. Car sinon : peu motivant. Les personnes les plus actives risquent de se sentir un peu seules, voire de s’épuiser à la tâche ou d’en avoir marre, tout simplement, du peu de relais et d’investissement collectif et donc, de lâcher progressivement ou pire, d’un seul coup… Et alors le peu d’organisation de s’effondrer !

Compter sur les autres sans vraiment se soucier si le matériel nécessaire arrivera, si ce qui devait être fait le sera effectivement. Ou le règne de la pensée magique. Il suffit de le penser très fort et spontanément, les choses vont s’agencer d’elles-même. Besoin d’un mégaphone ? Il va probablement tomber du ciel, ou, plus réaliste, il y aura bien quelqu’un pour en amener un. Des fois ça marche… d’autres non. On n’en a pas et on ne peut pas se faire entendre. Tant pis, c’est pas grave, rien n’est grave, on ne s’engage à rien, on se laisse toujours un échappatoire.

Ils ont les mains propres mais ils n’ont pas de mains ! Critiquer voire fustiger allègrement ceux qui font sans jamais se mouiller ? Posture facile. Laisser les autres se bananer pour mieux récupérer les morceaux ? Laisser tout s’effondrer pour que les gens réagissent ? Pas sûr qu’ils le fassent. Peut-être les verrons-nous constater : y a plus, flûte.

Bref, l’individualisme libéral dans toute sa splendeur : ne rien organiser mais tel le marché soi-disant auto-régulateur, laisser atomes séparés et initiatives individuelles se rejoindre par l’harmonie spontanée.

De la nécessité politique de penser l’organisation

L’informel est le règne du pouvoir qui ne dit pas son nom. Qui décide ? Ceux qui font. Et il faut qu’un maximum de gens fassent. Mais ça aussi ça ne se réalise pas spontanément. Il faut souvent malheureusement un peu tirer par la manche, redemander, récapituler. Et le travail d’énoncer clairement les informations et Comptes Rendus est ici indispensable. Tout peut se décider le plus démocratiquement du monde en AG mais il faut laisser le détail aux commissions. D’où l’importance qu’elles travaillent en amont pour proposer communication, actions/logistique un peu pensés pour pas se retrouver en AG sans aucunes actions un tant soi peu envisagées quant à leur possibilité de réalisation concrète. Ceci en fonction de notre nombre, de notre engagement, énergie, motivation, bref, en fonction du contexte. Mais pour cela il faut des gens responsabilisés, c’est à dire mandatés pour telle et telle tâche. Pas pour leur chercher noise à la moindre broutille, mais ne serait-ce que pour savoir à qui s’adresser. Que chacun sache qui fait quoi. Et si quelqu’un ne veut/peut plus faire, il suffit de le dire et quelqu’un d’autre peut s’engager à sa tâche, à sa place, se glisser dans la structure. Structurer, c’est ne pas dépendre des individus. Mais pour cela il faut un travail de transmission de l’expérience accumulée, c’est à dire ne pas laisser de nouveaux entrants se ressaisir à partir de zéro des outils, tout réinventer à chaque fois. Il faut viser la pérennité.

Karl Marx vit en La Commune de Paris « non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois ». Une assemblée générale ne peut pas se contenter d’être une sorte de parlement isolé. Il lui faut des organes qui après délibération puissent appliquer les décisions, ne serait-ce que pour appeler à la prochaine AG. Soit des moyens de communication internes et externes. Mais aussi de quoi référencer le matériel disponible, organiser les actions, imprimer les tracts, gérer la sono et les mégaphones, apporter les drapeaux, bref, une commission « Action/logistique » chargée de préparer le matériel et les actions en fonction de « l’analyse concrète d’une situation concrète » comme dirait l’autre… Alors oui, de facto, cela devient ainsi une « organisation », avec ses propres espaces de délibération et d’application des décisions et pouvant s’adresser comme telle à d’autres collectifs et à la Presse. Une sortie de l’informalité permettant d’être reconnaissable et donc rejoignable.

Sur la ligne politique et la question du travail

Ce n’est donc pas en d’autres espaces que doit se décider une organisation, ici en l’occurrence l’AG des luttes de Brest, mais en ceux qu’elle s’est elle-même crée. Elle est auto-constituante. Elle doit donc définir sa propre stratégie, c’est à dire ce qu’elle privilégie. Bien sûr, rien n’empêche à titre individuel de rejoindre tel ou tel RDV militant, par exemple concernant la vie quotidienne. Par contre, à titre collectif, il serait dommage que des individus constituant ce collectif justement, se dispersent et ne mettent pas leurs forces dans la bataille et, sacro-sainte liberté individuelle oblige, aillent au plus facile/fun/sympa mais parfois peu exigeant… oubliant de mettre la main à la pâte dans leur propre organisation, pour des tâches parfois relativement ingrates. Cette organisation doit être indépendante concernant tous ses moyens d’expression et notamment pour assurer ses prises de parole et donc avoir sa propre sono, mégaphones etc. Ça peut sembler trivial, mais c’est une autonomie indispensable pour effectivement, ne dépendre que de soi-même.

Ainsi, il faut axer notre action contre la réforme des retraites avec une volonté d’élargissement des revendications : contre la vie chère, d’où la nécessité de hausse des revenus, des salaires, à minima à indexer sur l’inflation ; contre la réforme de l’assurance chômage, la « loi anti-squat » et maintenant la « loi immigration » (surveiller la réforme des bourses en préparation) etc. Notre critique du travail doit se faire de manière argumentée et non comme il a été entendu parfois, par un rejet en bloc, simpliste, non contextualisé… assurant quelques succès d’estrade certes, mais nous aliénant peut-être des travailleurs s’usant à la tâche… Nous pouvons dire qu’il faut travailler moins, mieux, pour de meilleurs salaires et avec un sens : que ça serve la collectivité, soit utile, tant socialement qu’écologiquement. Le temps libre peut aussi servir à la politique. Nous devons changer de mode de production et de consommation, décider collectivement de nos besoins et donc de nos investissements. Pour cela, il nous faut un pouvoir des travailleurs sur la production, en lien avec le reste de la population, pour décider quoi produire, quand, comment, en quelle quantité, pour qui ? etc.

Nos espaces de délibération, de prise de décisions puis d’exécution, ne doivent pas se transformer en une sorte d’agora où chacun viendrait « vendre » ses RDV, son collectif, tout en restant extérieur à l’organisation effective concrète ou parfois, tout en critiquant le travail en général, certains n’hésitent pas à se reposer sur celui (militant) des autres. Oui il faut un engagement, que les gens aient des responsabilités et des tâches définies, révocables, tournantes, que les gens investissent les commissions, au risque de se retrouver comme un corps sans tête… ni bras.


Sur la question de l’organisation, lire aussi la partie La nécessité d’une « forme-parti » renouvelée in. AHOU numérique n°13 (31/12/2022 – 01/01/2023) : Sur le programme économique du RN et comment reconquérir les classes populaires ?

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