AHOU numérique n°13 (31/12/2022 – 01/01/2023) : Sur le programme économique du RN et comment reconquérir les classes populaires ?


sommaire

* Édito

Remarques préalables

* Sur le programme économique du RN et comment reconquérir les classes populaires ?

Introduction

1) Le programme économique du RN

Introduction
Conclusion
* Notes
* Pour aller plus loin
* Visuels sur les votes en commun des députés RN et LREM

2) Comment reconquérir les classes populaires ?

Introduction
Conclusion
* Notes
* Pour aller plus loin

* BD – Les Géométriquement aventures de Marcel Triangle et René Rond En Gilet Jaune

* Liens


Édito

La gauche est passée de 27,67 % en 2017 à 31,94 % en 2022 au 1er tour des élections présidentielles. Une progression bien fragile. L’avancée électorale de la NUPES aux législatives de 2022 du fait de l’union ne doit pas nous y tromper. Pas de quoi se reposer sur ses lauriers ! Il faut au contraire amplifier et structurer ces résultats. Mais pas uniquement sur le terrain électoral. Loin s’en faut !

Nous devons tout mettre en œuvre pour être hégémoniques. Cela passe par la bataille culturelle, contre-hégémonique aux récits des libéraux/réactionnaires. En affirmant la centralité du clivage capital/travail, loin des contrées idéalistes déconnectées de la réalité, des fachos et de leur identité fantasmée, comme des lubies du « tout-marché » des néolibéraux de type macronien. Être anticapitaliste est une nécessité. Amener l’idée et la pratique d’un autre mode de production, d’une véritable démocratie (également économique) décidant des investissements et des modalités de production, au plus près du local, en est une autre. Il nous faut sortir du carcan libéral, de leurs mots nous empêchant de penser une contre-société. Il faut nous imaginer des possibles, proposer un horizon s’appuyant sur des « déjà-là » communistes. Sans socialisation de grands moyens de production dans des secteurs stratégiques de l’économie, point de salut. Leur gestion doit être confiée aux « producteurs associés » selon l’expression de Marx, mais aussi à la société civile. Être radical, c’est faire la critique de l’origine de tous nos maux : la nécessité d’accumulation capitaliste transforme tout en marchandise pour du profit à court terme. Ceci, peu importe si cela détruit les humains, les animaux, l’écosystème dans son ensemble.

Nous analysons dans ce numéro le Projet pour la France de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2022 et faisons l’exégèse des revirements opportunistes de son parti tout au long de son histoire. Le FN, néo-libéral patenté dans les années 80, aujourd’hui mal nommé Rassemblement National se veut désormais le parti du peuple, des ouvriers, moins les immigrés et ceux qu’il nomme les « assistés ». Mais il ne propose qu’un saupoudrage de mesurettes soi-disant sociales. Disons rien d’envergure pour changer nos vies. In fine, il défend toujours les intérêts du capital et sera toujours du côté de la contre-révolution. Loin des moralisations fréquentes inefficaces, la « gauche » doit proposer un autre projet de société aux classes populaires, être désirable. Face aux crises en cours et futures, elle se doit d’être radicale, de viser la sortie du capitalisme, de défendre un travail utile, non-aliéné, respectueux de ceux qui l’exercent et de leur environnement : tout un imaginaire à reconstruire !

Nous pensons la spontanéité des masses nécessaire… mais pas suffisante. Il nous faut un acteur stratégique, tactique et idéologique : le Parti. La direction de LFI semble se refuser à cette possibilité, qui serait évidemment réadaptée à notre temps. Il ne s’agit pas de proposer un enrégimentement plein de travers bureaucratiques, procéduriers, un lieu de délibération incessante ou rien de concret n’avancerait. Mais bien plutôt une organisation démocratique de masse, nécessaire pour agir à une échelle suffisante, c’est à dire de masse. La fragmentation des groupes militants, encore récemment à l’œuvre à l’extrême gauche, ne doit pas être vue comme une fatalité. Une organisation dont la fonction première serait l’intervention dans la lutte des classes est possible, aux côtés des ouvriers et employés, de la majorité la plus pauvre de la population, des exploités et opprimés. Nulle avant-garde auto-proclamée : il nous faut simplement travailler dans le mouvement social, modestement mais sérieusement. Et si nous pouvons être reconnus comme lui étant utile et efficace, alors ça sera déjà ça de gagné et d’autres seront enclins à nous rejoindre.

La crise actuelle du capitalisme amène à repenser la question de l’extinction de notre espèce. Face au désastre en cours, une solution révolutionnaire s’impose. Changer l’État bourgeois de l’intérieur semble peu crédible : ça serait se regarder mourir à petit feu.

Réforme ou révolution, sempiternelle question ! L’histoire nous met devant l’évidence.

Post Scriptum

Nous avons hésité à dater ce numéro du dernier jour d’une année ou du premier jour d’une autre. Pour finalement inscrire les deux dates : marquer la fin d’un cycle et le début d’un autre, un nouveau commencement, plein d’espoir, de joie.


Remarques préalables

Cet article s’appuie sur des auteurs qui nous ont semblé intéressants lors de lectures récentes, quant au sujet abordé. Il y aurait bien d’autres références à mobiliser, mais il serait trop long de le faire ici. Celles utilisées sont donc partielles et loin d’être exhaustives.
Nous usons par commodité de l’expression « classes populaires », plutôt répandue de nos jours. Ce qui ne veut pas dire que nous la trouvions des plus adéquates politiquement et pour décrire la réalité actuelle d’exploitation et d’oppressions. Nous aurions pu parler de « classe ouvrière » (étendue au tertiaire), de classe « laborieuse » ou « travailleuse », de prolétariat… Nous ne nous livrerons pas ici à un référencement de définitions : toutes ces expressions ont leurs limites pour parler au « sens commun ». Nous avons donc choisi celle qui parlera peut-être au plus grand monde, ce qui ne préjuge en rien d’autres manières de rendre compte du monde social et de ses rapports d’exploitation et d’oppression.

sommaire


Sur le programme économique du RN et comment reconquérir les classes populaires ?

Introduction

Pendant les années 70 et 80 le Front National était très libéral sur le plan économique. Jean-Marie le Pen admirait Reagan, acteur majeur du tournant néolibéral avec Margaret Thatcher à l’orée des années 80. En 1984, aux élections européennes il voulait « réduire le domaine de l’État ; le nombre de fonctionnaires ; les dépense publiques. »(1). Il ne s’opposera pas en 1986 à l’Acte Unique européen visant à la disparition des frontières douanières et se prononcera en faveur de « l’abrogation pure et simple de l’autorisation administrative de licenciement » (2). Durant cette période il voyait en l’Europe un « rempart contre le bolchevisme »(3). Après la chute de l’URSS et du bloc de l’Est le FN connut un revirement spectaculaire : il se déclara pour le NON à Maastricht. Fini l’encensement du libre-échange, il parlait désormais fréquemment de protectionnisme (déjà en 1988) et affichait un visage « social » pour finir par se réclamer comme parti des ouvriers. Il fournit ce besoin de protection dont nécessitaient les classes populaires (ouvriers et employés). Ceux-ci subissaient depuis la 2ème moitié des années 70 la montée du chômage en France notamment du fait de la désindustrialisation, de la crise systémique du capitalisme. Les années 80, allaient être celles de la dérégulation portée par la « gauche » (le PS) aux institutions européennes : libre circulation des capitaux, des marchandises et personnes, dérégulation généralisée sur fond d’ouverture à la concurrence, à la mondialisation, de pression sur les salaires à la baisse, de chute continue du niveau de vie. Après la chute du mur en 1989, le PCF continuait sa longue érosion. Le PS avait largement trahi les classes populaires par son exercice du pouvoir. En 2005, celles-ci votaient largement NON à la constitution européenne. La note publiée par Terra Nova en 2011 mettait des mots sur cet abandon, conseillant de privilégier « « la stratégie centrale “France de demain” : une stratégie centrée sur les valeurs » : « Si la coalition historique de la gauche est en déclin, une nouvelle coalition émerge. Sa sociologie est très différente : 1. Les diplômés. 2. Les jeunes. 3. Les minorités et les quartiers populaires. 4. Les femmes. ». » (4). La classe ouvrière est elle considérée comme irrécupérable, acquise au RN (et à l’abstention), disqualifiée : économiquement, politiquement, symboliquement (en discréditant les mots anciens la qualifiant (5) ).

« quand le Front national fait une percée en 1984, on a une forte corrélation avec la présence maghrébine, les deux cartes se superposent quasiment, le coefficient de corrélation est de 0,85. Ce qui est très important. Aujourd’hui [en 2014], il est tombé à 0,10. […] Ça signifie que les questions migratoires, xénophobes, sont devenues des motivations secondaires dans le vote Front National. » (6).

Est-ce parce que comme le suggère François Ruffin le FN puis RN aurait répondu à une demande de protection des classes populaires victimes de la mondialisation, sur fond « d’abandons successifs de la gauche de gouvernement » (7) ? Apporterait-il des réponses plausibles à leurs difficultés économiques ?

Nous allons examiner dans un premier temps le programme économique du Rassemblement National et voir s’il propose des avancées en la matière pour les classes populaires. Puis nous nous demanderons comment reconquérir les classes populaires.


Le programme économique du RN

introduction

Le revirement économique du Front National apparaît comme purement opportuniste. Il « évite de se retourner contre sa bourgeoisie nationale » (8) tout en mettant en avant les PME/PMI. En 2004 Marine Le Pen propose « une grande réforme fiscale allégeant les impôts de 350 milliards de francs, le fardeau des impôts, taxes et cotisations étouffant nos entreprises, les familles et les Français » [ainsi que] « la suppression de l’impôt sur les revenus » (9), vieille rengaine du FN. Ainsi, dans le programme du FN : rien sur la précarité du travail, les actionnaires qui se gavent, les inégalités, la division en classes (sauf pour les classe moyennes), rien sur l’égalité ! Ou alors, le RN se contente d’un saupoudrages de quelques mesures sociales plus ou moins financées, qui ne font pas système. Il n’est nullement question pour lui de renverser véritablement le rapport de force en faveur du travail. Il s’agit d’un programme néo-libéral qui promet aux classes populaires une redistribution en luttant contre l’immigration qui coûterait selon eux « 100 milliards », à « accepter un capitalisme fait de l’entente entre Français riches et pauvres par l’exclusion des immigrés pauvres. C’est un libéralisme ethnicisé, aucunement un programme de gauche » comme tenteraient de nous faire croire parfois certains journalistes et hommes politiques… « Dans le domaine économique, le rôle de l’État est avant tout de créer un environnement favorable au développement des entreprises, poumons de notre économie sur tout le territoire, c’est précisément ce que j’attends par la mise en place d’un État stratège. ». Cette citation figure dans le Projet pour la France de Marine Le Pen (p. 21) à l’élection présidentielle de 2022… et correspond à une définition quasi-parfaite de l’État néolibéral, juste là pour assurer le bon fonctionnement du marché, de ses règles, de la concurrence.

Ainsi dans ce projet Marine Le Pen propose de « refermer cette parenthèse » libérale ouverte en 1983 par le « tournant de la rigueur » comprimant les salaires. Elle vante « notre modèle social, reflet de notre conception si profonde de la solidarité nationale, assura[nt] aux Français la plus complète et la plus efficace des protections ». Elle n’oublie pas cependant d’honnir, toujours, «  la bureaucratie la plus folle aux commandes ». Socialisante, elle ne se « console pas […] que des dizaines de milliers d’étudiants français aient été réduits à faire la queue pour se voir distribuer des « repas à un euro » ».Puis elle confirme plus explicitement encore notre analyse introductive : « Cette crise est finalement l’ultime défaite de la politique menée depuis le tournant des années 1980. Politique synonyme d’ouverture au grand large, de concurrence déloyale et de “mondialisation heureuse”. Politique qui s’est d’abord traduite par l’appauvrissement accéléré de notre pays, le recul de sa souveraineté, l’effondrement et la délocalisation de ses industries, l’ouverture totale de ses frontières au profit d’une main-d’œuvre corvéable à merci, concurrence déloyale importée pour les travailleurs français, bientôt rejointe par des familles entières attirées par des prestations sociales largement distribuées. ». Avant de conclure : « Cette parenthèse se referme, dans l’échec. », par « quarante ans d’aveuglement et de naïveté d’une caste dirigeante qui n’a eu de cesse de liquider le patrimoine national ». Avec comme solution pour y remédier, principalement : « c’est grâce à des économies que je financerai les nouvelles dépenses et grâce à une réorientation de notre modèle économique que je compte assainir les finances publiques fortement dégradées au sortir de ce quinquennat.». Bref, la cure austéritaire.

Europe : un autre revirement spectaculaire !

Globalement le projet de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle de 2022 visait à rassurer la bourgeoisie nationale, comparé à 2017 : plus de « référendum sur le maintien de la France dans l’Union, après renégociation des traités, et le rétablissement d’une monnaie nationale. » C’est tout le cadre néo-libéral européen qu’elle souhaitait respecter. Du moins donnait-elle des gages de le faire. Ainsi en 2019 : « une large partie du programme économique du RN a dû être modifiée[…]. Faute de quitter la zone euro, le Rassemblement national appelle à réformer la Banque centrale européenne, en lui assignant de nouvelles missions comme la lutte contre le chômage [et] ne s’oppose plus à une convergence des fiscalités entre États membres. Il propose la création d’un “serpent fiscal” dont le but serait de limiter la concurrence entre pays en fixant des limites hautes et basses en matière d’impôt. ». Ceci associé à une « Alliance européenne des nations ». MLP vise désormais à ne plus appliquer le droit européen en priorisant le droit national. Ainsi, en 2022, dans ses 22 mesures pour la France elle propose par exemple de « sortir du marché européen de l’électricité pour retrouver des prix décents ».

Armée

Marine Le Pen propose « à l’horizon de 2027, un budget de l’ordre de 55 milliards d’euros ».

Immigration

MLP indique : « les étrangers venus pour travailler devront rentrer chez eux au bout d’un an de chômage ». Elle préfère « réserver un certain nombre des prestations sociales aux seuls Français ou encore de leur accorder une priorité d’accès au logement social. »

Justice

Elle prévoit le recrutement de « plusieurs milliers de magistrats en cinq ans ». Là encore, il est à craindre un sérieux déséquilibre budgétaire.

Lutte contre la fraude… sociale

MLP évoque « la fraude sociale, vécue comme un fléau et une injustice par l’ensemble de nos compatriotes, dont les plus modestes sont les premières victimes ». Elle évoque au passage la fraude aux importations, sans trop s’y attarder mais c’est bien la fraude sociale qui est ciblée : « je ne laisserai plus les Français être volés par ceux qui, depuis tant d’années, minent la prospérité collective en toute impunité. ». Il s’agit là encore de cibler les plus modestes et non les ultra-riches responsables de fraude fiscale pourtant estimée comme 10 fois plus importante que la fraude sociale.

Santé

Toujours dans ce même document, il est proposé de « lutter contre les déserts médicaux. » Louable intention. C’est dans la stratégie du RN et de Marine Le Pen de se présenter comme la France des oubliés, la « France périphérique » (Christophe Guilluy). Mais le RN ne perd pas l’héritage de Le Pen père, fustigeant la bureaucratie : « Un seuil maximum de 10 % de personnels administratifs sera institué dans tous les hôpitaux publics; les cotisations sociales des Français n’ont pas vocation, en effet, à financer une suradministration chronique qui n’améliore en rien la qualité des soins. » Elle promet « un effort financier conséquent pour tous les soignants afin de revaloriser leur salaire ». Sujet d’actualité oblige… Ceci aussi pour le personnel des EPHAD, plus un milliard supplémentaire pour le plan d’investissement des EPHAD engagé en 2020.

Garantir aux personnes handicapées leur juste place dans la société

« L’unité nationale que je défends nécessite une unité sociale ». Elle propose une déconjugalisation de l’AAH, mesure quasi-consensuelle que la Macronie a fini par accepter devant le tollé susciter par leur refus et l’image désastreuse que ça lui portait. Elle propose aussi de l’indexer sur l’inflation. « Il faudra également améliorer l’accès à l’emploi des personnes handicapées des mesures fiscales pourront être prises y compris dans les centres d’apprentissage. Bien évidemment l’accessibilité dans les transports publics mais aussi le monde numérique sera amélioré des efforts ont déjà été entrepris il s’agira de les poursuivre. » Elle propose aussi un plan d’inclusion des enfants handicapés et la création de «  plusieurs dizaines de milliers de places dans des établissements spécialisés. »

Outre-mer

Elle propose « une meilleure exploitation du potentiel économique et minier des collectivités en cause, […] et [de] favoriser par la voie fiscale les investissements locatifs, industriels et commerciaux utiles au développement harmonieux des économies locales, construire les infrastructures portuaires nécessaires au désenclavement économique des territoires concernés et enfin adapter aux circonstances locales les normes environnementales ». Là encore : trop de fiscalité et de normes pour les entreprises selon elle ! En bonne démagogue elle veut aussi lutter contre « la vie chère », n’hésitant donc pas à reprendre à son compte des slogans ou mesures de mouvements sociaux aux Antilles, mais aussi des Gilets Jaunes.

Patriotisme économique

Elle prend soin de promettre « la préservation de notre modèle social », cher aux Français. Elle propose un « localisme et du patriotisme économique », pour l’emploi, ainsi que la création d’un « Fonds Souverain Français » afin d’orienter l’épargne des Français pour développer l’économie nationale ; de «  replacer les sociétés d’autoroutes dans les mains de la puissance publique ». Là-aussi une revendication des GJ. Le fond souverain servirait aussi à financer la recherche et la « transformation écologique » (quoi de plus vague…).

« Afin de renforcer le patriotisme économique et d’en souligner la pertinence notamment en termes de croissance, j’utiliserai le puissant levier de la commande publique. En opposition claire et assumée aux dogmes de la mondialisation sans contrainte, la priorité nationale (ou européenne dans certains cas) s’appliquera pour les marchés publics. »

« Démétropolisation », « Prime d’Aménagement des Territoires » : l’accent est ici aussi mis sur le re-développement de la dite « France périphérique » et donc des services publics sur ces territoires.

Elle promet aussi des « contrôles des importations » et « la fin du travail détaché ». Elle parle de débureaucratiser les démarches et normes et la « baisse des impôts de production » en priorité pour les TPE/PME. Mais aussi «de supprimer la Cotisation Foncière des Entreprises, CFE. La suppression de la Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés, C3S, sera quant à elle réservée aux zones de relocalisation. »  « Enfin, pour que les TPE-PME s’enracinent dans le temps dans notre paysage économique, je supprimerai les impôts de succession […] les héritiers ne paieront plus d’impôts s’ils s’engagent à garder pendant au moins 10 ans l’entreprise.»

Elle suit de nouveau les revendications des GJ en proposant de « redonner entre 150 et 200 € par mois, par ménage, de pouvoir d’achat, notamment en baissant les dépenses contraintes » et en voulant passer la TVA de 20 % à 5 % sur les produits de 1ère nécessité, comprenant « essence, fioul, gaz et électricité » . MLP promettait aussi de redonner du pouvoir d’achat «aux ménages, des plus modestes et aux classes moyennes »  par « une baisse immédiate des péages autoroutiers, de l’ordre de 15 % et par la privatisation de l’audiovisuel public permettant de supprimer la redevance. La priorité nationale que j’entends instituer pour l’accès au logement social permettra, elle aussi, de sécuriser les revenus de nos compatriotes. » Ce qui contribuerait à mettre plus encore les médias mettre les mains de milliardaires, du capital véhiculant pas ses médias une idéologie profitant à l’ordre établi (le sien).

Quant aux entreprises, elles «  seront exonérées de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires jusqu’à 3 SMIC ». Elle propose aussi de supprimer « l’impôt sur la fortune immobilière, IFI, […] et que soit mis en place un impôt sur la fortune financière, IFF. Cet impôt visant la spéculation inclura les produits financiers et œuvres d’art détenues depuis moins de 10 ans; pour protéger l’enracinement la résidence principale ou unique et les biens professionnels sortiront de l’assiette.»

Les jeunes

Pour eux, «  un chèque sera créé, au bénéfice des apprentis et des alternants; versé à parts égales à l’entreprise d’accueil et au jeune formé, son montant sera de 5700 euros par an pour les jeunes de moins de 18 ans, et de 8000 euros entre 18 et 30 ans ». Elle mettra « en place d’une part un soutien aux étudiants qui travaillent pendant leurs études (complément salarial sous conditions de réussite aux examens) et d’autre part la gratuité des transports aux heures creuses pour les 18-25 ans. ». Mais aussi : « exonération d’impôt sur le revenu pour tous les moins de trente ans ; dispense d’impôt sur les sociétés pour tous les jeunes créateurs d’entreprise, pour une durée de cinq ans ; je veux que nos jeunes créent leur entreprise sur le territoire national. » Typiquement une politique de l’offre pour des jeunes, entrepreneurs et suffisamment riches pour être soumis d’ordinaire à l’impôt, supposée stimuler l’activité économique. Toujours ça en moins pour la redistribution publique. Quand on sait que les entreprises se transmettent généralement par héritage, c’est bien la reproduction sociale du capital que promet là MLP. Elle met en avant la « valeur travail » chère au très libéral Sarkozy, « loin de toute chimère rêve d’assistanat ». On remarque au passage qu’elle parle des jeunes en général, comme s’il s’agissait d’une catégorie efficiente à décrire la réalité sociale, qu’il n’existait pas des jeunes riches et des jeunes pauvres, des jeunes possédant les moyens de production, du capital, et d’autres non. Encore une fois elle masque les antagonismes sociaux, de classe. Ce dernier mot ne faisant pas partie de son vocabulaire, allez savoir pourquoi

Là encore il s’agit de monter ouvriers et employés – la classe moyenne (des GJ) connaissant une baisse de son niveau de vie – contre encore plus faible et moins riche que soit : la stratégie du bouc émissaire. Le dit « assisté » est avec l’immigré les cibles privilégiées du RN pour détourner la colère populaire des plus riches.

Retraites

« Toutes les personnes qui auront commencé à travailler avant vingt ans pourront partir à la retraite à partir de 60 ans s’ils ont 40 annuités de cotisation. Pour les autres, qui dans l’immense majorité auront un travail moins pénible physiquement, leur âge de départ et leur durée de cotisation dépendront de l’âge auquel ils auront commencé à travailler. » De plus elle propose une « ré-indexation des retraites[,] la réinstauration de la demi-part des veufs et veuves ou encore […] la revalorisation à 1000 € de toutes les petites retraites. »

Énergies

Elle insiste sur la préservation de la souveraineté française concernant le nucléaire civil et militaire, ainsi que les barrages hydro-électriques. De plus, elle dénonce « la contribution au service public de l’électricité, en augmentation de 650 % depuis sa création en 2003 » finançant notamment les éoliennes, et insiste sur l’importance de mettre « fin au subventionnement de ces énergies intermittentes ».

Agriculture

Elle propose de « faire en sorte que la restauration collective française soit fournie pour 80 % au moins par des produits alimentaires issus de notre agriculture » et que l’État accompagne « les jeunes agriculteurs, en leur réservant l’accès aux terres agricoles et en veillant à la revalorisation des prix payés aux producteurs. », pour « sauver le modèle français des petites et moyennes exploitations agricoles ». Toujours cette valorisations des « petits » et « moyens ». Elle propose par ailleurs de lutter « contre les importations frauduleuses » et « de préserver les espaces agricoles ». Globalement, elle mise sur un protectionnisme agricole.

Famille

MLP met en avant une politique nataliste avec l’instauration d’une « part fiscale pleine pour le deuxième enfant [et] pour tous les jeunes couples souhaitant acquérir un bien immobilier, la mise en place d’un prêt public à taux zéro sur dix ans, d’un montant maximal de 100000 euros, dont le capital restant dû sera effacé dès la naissance du troisième enfant. » Aucune distinction n’est faite encore ici en termes de classes, sa mesure profite aussi aux jeunes riches qui n’en ont pas besoin. De plus, « les allocations familiales seront réservées aux familles dont au moins un des deux parents est français » et est prévu un « doublement de l’allocation de soutien familiale » pour les familles monoparentales.Encore une fois, MLP assure la transmission du capital en proposant de «  baisser les impôts sur la transmission que ce soit sur les donations, dont le seuil de l’abattement sera de 100.000 € tous les 10 ans, ou sur les successions pour lesquels [elle] propose de sortir de l’assiette les biens immobiliers à hauteur de 300 000 €, favorisant ainsi l’enracinement des familles. »

École

MLP propose d’augmenter les effectifs enseignants du primaire et de baisser ceux du secondaire. Concernant leurs salaires, « une revalorisation de 3 % par an sera appliquée […], tous niveaux confondus ». Et, vieille marotte, elle parle de « supprimer la bureaucratie de l’Education nationale ».

Culture

« la fiscalité qui pèse sur les monuments historiques sera adaptée aux nécessités de conservation de ce bien dans le patrimoine national »

Vous pouvez retrouver le programme résumé par points. On y trouve d’autres mesures comme celle consistant à « construire 100  000 logements sociaux par an dont 20 000 en faveur des étudiants et jeunes travailleurs » et « un Fonds de Garantie des Loyers pour protéger les propriétaires », « la priorité aux PME pour les marchés publics », de « revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France » et carrément la création d’«un ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales, aux cotisations et prestations sociales, aux importations, ententes, etc.).

conclusion

En résumer, le programme économique du RN ne profite que partiellement aux classes populaires et ne remet pas en cause la domination fondamentale du capital sur le travail – l’exploitation et la propriété des grands moyens de production – pas plus que les diverses oppressions (racistes, de genre etc.). Même si elle concède ça et là la gestion par l’État de secteurs clefs comme les autoroutes et une souveraineté économique par exemple sur les barrages hydroélectriques. Sa politique économique d’allégement des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations), revient à nous donner d’une main ce qu’elle reprend de l’autre. En effet, ils sont sensés financer notre modèle social pour servir le bien commun. Or, le financement du programme de Marine Le Pen pour 2022 apparaissait comme particulièrement déséquilibré, révélant par là sa politique économique démagogique consistant à promettre aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, sans trop se soucier s’il sera possible de le financer. Globalement, la lutte contre l’immigration est sensée abonder les recettes de l’État. Or tant bien même appliquerait-elle son programme raciste, ciblant l’immigré, les recettes resteraient faibles. La lutte contre une fraude sociale largement surestimée apporterait peu de recettes. Quant à la suppression promise de l’Aide Médicale d’État destinée aux étrangers, là aussi le gain serait minime et dangereux pour la santé publique (notamment en cas de pandémie). Et bien sûr indigne moralement. En juin 2022, 89 députés RN ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale. Depuis, ils n’ont voté que pour les intérêts du capital, des riches. Rien en faveur du travail, de la majorité la plus pauvre.

Et pourtant en 2022, environ 44 % des ouvriers ont voté pour l’extrême droite au 1er tour de la Présidentielle, 47,5 % aux législatives et 42,3 % des employés, dépassant la gauche et la droite. « Dans les milieux ouvriers, l’écart entre la gauche et l’extrême droite est entre 14% et près de 20%, plus accentué encore aux législatives qu’à la présidentielle. » (SOURCE). Dans une deuxième partie nous allons donc voir comment « la gauche » peut reconquérir les classes populaires (ouvriers et employés).


Notes

(1) François Ruffin, « Pauvres actionnaires !». Quarante ans de discours économique du Front national passé au crible. Suivi d’un entretien avec Emmanuel Todd, Fakir Éditions, 2014 Amiens, p. 30.

(2) Ibid., p. 81.

(3) Ibid., p. 46

(4) Ibid., p. 62.

(5) Mauger in. Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, nouvelle édition actualisée et augmentée, Raisons d’agir éditions, 2018, Paris, p. 50.

(6) Emmanuel Todd in. François Ruffin, « Pauvres actionnaires !»… op. cit., p. 104.

(7) François Ruffin, « Pauvres actionnaires !»… op. cit. p. 22.

(8) Ibid., p. 75.

(9) Ibid., p. 68.


Pour aller plus loin

Sur le programme économique du RN, lire aussi

Sur son évolution

Sur son revirement récent sur l’Europe


Visuels sur les votes en commun des députés RN et LREM

Visuel créé par Hellogrise


Les visuels pour les réseaux sociaux


Visuels créés par Hellogrise


sommaire

Comment reconquérir les classes populaires ?

introduction

« Tout ne se passe pas dans les classes populaires… mais rien ne se passe sans elles. »

Emmanuel Todd (1)

Historiquement, les révolutions se font par une alliance d’une petite-bourgeoisie intellectuelle avec les classes populaires (ouvriers et paysans, voire artisans et boutiquiers en 1789, pendant la Commune). Ainsi :

« avant sa crise puis sa décomposition, le bloc de gauche correspondait à une alliance sociale interclassiste dans laquelle se reconnaissaient la fraction salariée des classes populaires et la fraction des classes bourgeoises liée aux professions intellectuelles et au service public. » (2)

Les limites de la stratégie populiste (Mouffe/Ruffin)

Le travail théorique de Chantal Mouffe peut être qualifié de post-marxiste. Son travail a inspiré des mouvements dits « populistes de gauche » (Podemos, la France Insoumise). Cette stratégie, se situe sur le terrain institutionnel et vise à créer un clivage Nous/Eux autour d’un signifiant vide : Nous le Peuple contre Eux les élites (l’oligarchie). Chantal Mouffe parle d’une chaîne d’équivalence : ce Nous discursif large et vague permet d’intégrer selon elle toutes les attentes sociales, de différents mouvements sociaux : écologistes, féministes, antiracistes… La lutte des classes est ici une catégorie comme une autre et aucune priorisation semble de mise pour mettre celle-ci en centralité, alors qu’elle est est transversale et conditionne largement les autres luttes. « L’une des thèses centrales d’Hégémonie et stratégie socialiste [livre de Chantal Mouffe et Ernesto Laclau] est la nécessité de prendre en compte tous les combats démocratiques qui ont surgi d’une grande variété de relations sociales et qui selon nous, ne pouvaient plus être cernées à travers la catégorie de “classe”. » (3) indique Chantal Mouffe. Ainsi le risque est que chacun y mette un peu ce qu’il veut, qu’il s’agisse plus d’une addition de luttes et attentes séparées (la fameuse convergence), plutôt qu’un dépassement de différences permettant de fédérer les classes populaires autour du rapport capital/travail encore largement structurant et d’y agglomérer des couches moyennes en voie de paupérisation. Là est aussi la force de l’extrême droite : avoir su détourner les classes populaires, la majorité la plus pauvre de la population de la question sociale autour de l’exploitation consécutive des rapports de production, du mode de production capitaliste, pour renvoyer à un Nous exclusif, contre Eux les immigrés. Ce grand fourre-tout idéologique ne permet pas une compréhension et action en termes de classes.

Par ailleurs il ne faut pas négliger les apports en termes de réflexion stratégique du populisme de gauche, notamment concernant le langage employé pour parler aux classes populaires. Nul besoin de fétichiser un lexique marxiste. Il faut partir des propos des classes populaires, des mots qu’ils mettent sur leurs problèmes de la vie quotidienne, comme l’évoquait justement François Ruffin lors d’un débat avec Chantal Mouffe. Celui-ci disait que les gens des classes populaires (notamment des bourgs et campagnes) n’employaient pas ce langage, lorsqu’ils les rencontraient lors de sa campagne pour les législatives de 2022. Ils n’utilisaient pas le mot « classe » mais parlaient plus volontiers de « gros » contre les « petits ». Albert Soboul, dans son livre Les Sans-culottes, évoquait ce même vocabulaire dans la bouche de ces derniers lors de la révolution française, où la conscientisation politique en termes de classes n’était pas encore réalisée, ce qu’amènera plus tard le mouvement ouvrier et socialiste, notamment le marxisme. Autant dire qu’il y a eu une rupture idéologique et de formation politique, consécutive à l’effondrement des organisations ouvrières et socialistes au sens large (partis, syndicats, associations). Ruffin ne semble pas vouloir réinjecter ce vocabulaire et la grille de lecture de la réalité en termes de classes, il préfère parler en usant par là de stratégie populiste, d’un conflit clef : haut/bas, petits/gros, actionnaires/travailleurs et finalement riches/pauvres. Il semble se contenter de ce recul en arrière discursif, théorique, ou alors, le distille à petites doses dans ses vidéos notamment. Nous pensons que ce travail militant d’éducation populaire doit être plus vaste et qu’ainsi la formation est indispensable, à l’exemple du PCF d’antan, comme nous le verrons plus bas. Il nous faut réarmer idéologiquement les classes populaires.

La centralité du rapport capital/travail (changer la « hiérarchie des attentes »)

« La stratégie visant la constitution d’un bloc de gauche réellement renouvelé, et non pas reconstitué à l’identique, ne peut réussir que si les attentes « économiques », « environnementales » et « sociales » passent au premier plan d’une fraction suffisante des groupes sociaux, au détriment de certaines attentes habituellement mais improprement appelées « sociétales » ou « culturelles ». » (4)

Le vote Mélenchon à l’élection Présidentielle de 2022 est particulièrement fort dans les DOM-TOM, la jeunesse des centre-villes à sensibilité écologiste et les quartiers populaires même si l’abstention reste globalement forte. Le vote des ouvriers va lui plus largement au RN.

Ces résultats pour LFI semblent conforter la stratégie Terra Nova dans les faits. Mais pour être majoritaire, la gauche a besoin des classes populaires et ne peut se contenter de ses trop faibles scores chez les ouvriers et employés, notamment dans le quart Nord-Est de la France. Ceux-ci se réfugient dans l’abstention ou le vote RN. Nous ne pouvons pas nous contenter de cet état de fait et viser uniquement le terrain électoral d’une part, et de tenter de sur-performer dans les quartiers populaires urbains, en les sortant plus encore de l’abstention. La question de la classe doit être centrale pour unifier ces classes populaires : dont une part est issue largement d’une immigration récente dans les quartiers populaires, une autre, de ce prolétariat blanc, il faut bien le dire, dont les parents ou grands parents votaient communiste, pour certains militaient au PCF, au syndicat etc. Pour cela nous devons mettre la question du travail et du rapport capital/travail au centre des problématiques sociales. Qui plus est avec la montée incessante des inégalités depuis le fin des dites « 30 glorieuses ». Ainsi, nous ne devons pas condamner moralement l’ouvrier (inefficace), l’employé votant RN mais plutôt lui proposer un autre récit que celui identitaire. Lui désigner des cibles : le riche, le capitaliste qui se gave, la fraude fiscale plus que la fraude sociale. Évidemment, dans les quartiers en périphérie des villes comme dans la France des bourgs, des campagnes, périurbaine des Gilets Jaunes, le chômage est très présent et amène des phénomènes d’anomie, d’exclusion, de solitude. Nombre d’entre eux se désintéressent du vote, ne croient plus à la politique comme pouvant changer les choses : nous ne pourrons les faire venir à nous qu’en assumant une radicalité visant à terme la sortie du capitalisme, puis l’écosocialisme et le communisme. Même si nous devons en premier lieu évoquer des problèmes directement issus de leur vie quotidienne comme le fait de ne pouvoir vivre dignement de son salaire, de ses revenus. Cette lutte ne doit pas être exclusivement électorale mais se situer dans le mouvement social et sur le lieu de travail, dans les associations, dans la vie quotidienne de la cité.

En résumer, il nous faut arriver à changer « la hiérarchie des attentes » des électeurs du RN : le racisme était présent dans les milieux populaires dans les années 70/80, mais n’était pas prioritaire dans ce qui déterminait leur vote… à l’inverse de la place élevée prise par la sécurité et l’immigration aujourd’hui. Quelqu’un comme Ruffin tente de changer cet ordre de priorités en orientant la colère populaire contre les nantis… en évitant tactiquement de cliver sur le racisme, les violences policières, mais se faisant le porte-parole des classes populaires sur des « incivilités » qu’ils subissent au quotidien. Contrairement à Mélenchon qui porte un clivage frontal sur ces sujets. Mais comme lui il porte l’idée de nation, de patrie, de république (sociale), « qui n’est que le nom de gauche de la nation » (5). Il répond aussi à un besoin global de protection des classes populaires par l’affirmation (plus que d’autres membres de LFI) d’un protectionnisme écologique et solidaire. Partir du sens commun c’est aussi ne pas juger à priori les symboles populaires comme le drapeau français, les intentions mises derrière. Mais attention à ne pas tout de même les mettre trop en avant au détriment du facteur économique. Rappelons aussi que « l’Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d’oppression d’une classe par une autre; c’est la création d’un « ordre » qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes… ». Il n’est pas neutre : son administration (hauts fonctionnaires), sa police et son armée ne le sont pas. Alors sortons de cette naïveté si présente à LFI consistant à croire qu’il suffirait d’aller négocier le bout de gras dans les institutions bourgeoises, son État et son parlement, et l’affaire serait jouée car bien bien sûr l’on est raisonnable et de bonne foi (et des gentils petit bourgeois CPIS – Cadres et Professions Intellectuelles Supérieures – se vivant comme légitimes à être entendus ou à remplacer une élite par une autre ?). Sans compter des médias du capital et d’État hostiles… Il faut au contraire « briser, démolir la « machine de l’Etat toute prête », et ne pas se borner à en prendre possession »  et donc inventer une toute nouvelle forme…

Pour être puissants il nous faut proposer une alliance de classes : la petite-bourgeoisie intellectuelle qui se soucie du climat doit être avec nous, en alliance avec une certaine jeunesse en « sédition » appelée à fournir les cadres du capitalisme, ainsi que le mouvement ouvrier organisé. Les ouvriers et employées le plus souvent mariés entre eux (ou du moins en couple), sont notre cœur de cible et doivent constituer le moteur du mouvement social, du parti à la forme actualisée. La petite bourgeoisie CPIS doit être au service des classes populaires et non l’inverse. Les enseignants peuvent par exemple servir à la formation de cadres ouvriers comme cela fût le cas au PCF… Mais pour lier ensemble ces classes et constituer un bloc social solide, nous ne devons pas ignorer les autres questions sociales. Nous pouvons disqualifier une écologie, un féminisme, un antiracisme bourgeois… Mais à la place nous devons lutter contre toutes les oppressions et proposer une écologie de lutte des classes, un féminisme de classe mettant en avant la question économique, du travail et un antiracisme qui s’articule aux conditions matérielles d’existence. Sans cela nous passerons à côté d’une potentielle force.

Ainsi, face au désarroi et à la morosité ambiants, nous devons apporter notre lot de joie, de fêtes populaires, d’humour et de créativité, en gardant une souplesse pour ne pas faire du militantisme un sacrifice permanent, pour donner envie de nous rejoindre. Nous devons transformer la colère en espoir et non pas rejoindre les thématiques identitaires. Redonner un sentiment de justice et de partage !

L’exemple du PCF ? (intégration, formation et fierté des classes populaires)

« En se tournant vers les “exclus”, les communistes en viennent à se faire les porte-paroles de catégories qu’il s’agit d’aider et non plus, comme dans le cas des ouvriers, de mobiliser et de faire accéder au pouvoir politique. »

Julian Mischi , Au nom des ouvriers…

Et pourtant :

« Si, de la Libération aux années 1970, les dirigeants communistes pouvaient revendiquer avec un certain succès le monopole de la représentation symbolique de la “classe ouvrière”, c’est notamment parce qu’ils étaient eux-mêmes issus de ses rangs. En ne cherchant pas seulement à représenter les travailleurs, à parler en leur nom, mais également à les mobiliser et à leur donner le pouvoir, les cadres du PCF ont œuvré à la promotion d’un personnel politique d’origine populaire. Le mouvement communiste a assuré la formation d’une élite militante populaire qui a accédé à des postes de responsabilité au sein du PCF et de ses réseaux (syndicats, associations, etc.), mais aussi dans les mairies, au Parlement etc.

Pour cela, il a fallu mener en permanence un combat contre les procès en disqualification lancés par les élites en place, lutter contre le monopole de la production des discours politiques et de la détention des positions de pouvoir par les classes supérieures. Dans cet affrontement symbolique, la valorisation de la “classe ouvrière”, de son rôle économique et de sa puissance politique a été érigée contre les intérêts égoïstes de la bourgeoisie, transmuant ce qui était une illégitimité sociale et culturelle en ressource militante et en critère de légitimité communiste. Ce travail idéologique de célébration du monde du travail, en particulier autour des figures du mineur et du métallo, a grandement contribué à consolider un sentiment d’appartenance de classe, nourri par des expériences concrètes au travail et dans les localités, et à l’étendre dans le domaine politique où il était doté d’une valeur révolutionnaire. » (6)

L’auteur a longuement analysé le PCF qui intégra massivement en son sein des ouvriers (mais aussi des paysans), des employés. Et qui, par une politique volontariste de sélection et de formation, permettait prioritairement aux premiers d’être des cadres du Parti. Souvent issus de luttes, ils étaient pleinement acteurs de leur émancipation et « protégées » de personnes à capital culturel élevé (enseignants, ITC – Ingénieurs Techniciens Cadres) ayant l’habitude de rédiger, diriger, parler en public, qui s’en bien souvent s’en rendre compte, ont tendance à prendre « toute la place ». Les classes populaires n’étaient donc pas vues comme des victimes qu’il faudrait aider, mais comme pleinement actrices de leur émancipation. Un écueil qui semble être de mise à LFI, où la petite bourgeoisie intellectuelle tend à dominer, surtout aux postes de cadres du « parti-mouvement ». Et si nous pouvons saluer qu’une travailleuse comme Rachel Keke soit élue députée, nous ne sommes pas dupes : c’est une exception, l’arbre qui cache la forêt. De nos jours, pas plus le PCF que LFI ou autres partis composant la NUPES n’ont cette volonté de faire monter des travailleurs des luttes sociales et de les former. Les électeurs issus des classes populaires auront d’autant plus envie de voter pour un parti-mouvement, ou de le rejoindre, s’ils y voient des personnes issues comme eux du même milieu social, qui leur ressemblent, parlent comme eux etc. Les intégrer permettrait d’éviter tout misérabilisme mais plutôt d’agir plus encore sur les lieux de travail, dans les syndicats, les quartiers, bourgs et campagnes populaires, d’étendre un militantisme de terrain, implanté localement et non parachuté depuis le centre parisien…

Plus encore, il convient de redonner une fierté aux classes populaires et à ses nouvelles figures. Le routier et le cariste pour les hommes (mais aussi l’ouvrier de l’agro-alimentaire), les métiers du lien pour les femmes : Auxiliaires de Vie Sociale, Accompagnantes d’Élèves en Situation de Handicap pour les femmes, assistantes maternelles. Tous ces métiers surreprésentés dans le mouvement des Gilets Jaunes, mobilisant des classes populaires recomposées de part notamment la désindustrialisation et tertiarisation de l’économie, que souvent ceux qui l’exercent aiment, mais pas la manière dont on leur fait faire (cf. Génération cariste: les «gilets jaunes» ont révélé le nouveau visage des classes populaires, J-L Cassely et J. Fourquet).

Reprendre pied dans les territoires populaires

Quels militants y trouve t-on ?

Il nous faut bien sûr s’appuyer sur des habitants de ces territoires : les recruter dans nos rangs. Sans récupérer, travailler dans ou avec les associations et collectifs locaux.

Qu’y faire ?

Il nous faut organiser les organisateurs.

L’enquête pour connaître la vie des gens à qui l’on s’adresse

Ceci, afin de « dresser le constat rigoureux et objectif du niveau de conscience réel des travailleurs, afin d’éviter toute mythification de la classe ouvrière. Le moment de l’enquête précède l’intervention politique. Il lui donne les données nécessaires pour opérer les choix les plus adéquats. » (7). Ceci s’applique à la vie de quartier également, à la vie quotidienne.

Dans beaucoup de territoires acquis à une abstention et un vote RN forts, on peut parler de « France désertique » (plutôt que périphérique) : « pas de services publics, pas de commerces, pas de proximité ». Nous pouvons mettre en avant ces problématiques mais construire un réseau d’entraide ne sera pas suffisant pour contrer la disparition des services publics. Une réimplantation d’une vraie « gauche » dans ces territoires nécessitera un travail de fond patient et colossal.

Comment s’adresse t-on à eux ? (La méthode Alinsky)

Partir du sens commun, de la vie quotidienne des gens et non du monde tel que l’on voudrait qu’il soit… Ne pas jouer un rôle, cela se verrait. Rester soi même. S’imprégner des réalités du quartier, de ses légendes, personnages fétiches, de son histoire. Comprendre leur vocabulaire, être capable de l’utiliser. « l’humour est également essentiel pour pouvoir communiquer, car il peut faire accepter beaucoup de choses qui, présentées sérieusement, seraient immédiatement rejetées » (8). Poser des questions pour que les habitants se rendent compte par eux-même de la tactique à suivre. Assumer le rapport de force. Agir stratégiquement autour d’un « élément dynamisant et moteur : le conflit » (9). L’organisateur selon Alinsky doit « voir si la fin n’est pas trop ambitieuse et vaut la peine d’être poursuivie et si, d’autre part, les moyens dont il dispose lui permettront de l’atteindre » (10). Mais aussi : «faire appel à l’expérience de [son] public et respecter les valeurs des autres, partir des propres intérêts des personnes que vous organisez » (11). « Sa tâche consiste à sevrer le groupe et à le rendre totalement indépendant de lui, autonome; alors seulement il a accompli sa tâche. » (12). Ainsi que de « faire ressortir les déceptions et le mécontentement, de fournir aux gens l’occasion de vider leur colère et leurs frustrations. Pour avoir si longtemps accepté la situation antérieure, il y a chez les gens une culpabilité latente : il faut créer le mécanisme pour les faire dégorger. C’est de ce mécanisme que naît une nouvelle organisation de la communauté. » (13)

La joie : « une tactique n’est bonne que si vos gens ont du plaisir à l’appliquer » (14)

La nécessité d’une « forme-parti » renouvelée

Un parti « de masse » à partir de LFI ?

Ce n’est en tous cas pas ce que souhaite J. L. Mélenchon comme forme d’organisation. Pour reconquérir les classes populaires il faut leur parler là où elles sont et donc être organisé pour cela, en les intégrant au parti. Est-il possible de construire un parti à partir de l’Union Populaire/LFI (à partir d’elle et de ses électeurs), d’intégrer ses Groupes d’Action (GA) avec une position communiste révolutionnaire critique, tout en participant loyalement aux instances internes du Parti comme le propose la Tendance Claire du NPA son article Pour un regroupement communiste révolutionnaire DANS l’Union populaire ? Peu probable que cette stratégie soit efficace, les postes de pouvoir et la structure restent solidement tenus par les cadres nationaux comme locaux  : Mélenchon, son cercle proche comme Bompard qui vient d’être nommé à la tête de la « coordination des espaces » du parti-mouvement, le groupe parlementaire, les élus et permanents… jamais élus dans l’appareil mais toujours cooptés. Le vote des militants n’est que rarement sollicité à LFI. Avant l’Assemblée représentative du 10/12/2022, Bompard était déjà désigné à la direction du parti-mouvement qui n’a pas été élue malgré la présence d’une centaine de militants de la base… Ceux-ci avaient été tirés au sort parmi les animateurs et animatrices des GA, atomisant par là la politique : rien n’est fait pour que les GA s’organisent démocratiquement et remontent des idées et critiques après une délibération collective. Les individus sont atomisés selon une logique (néo)libérale et renvoyés à leur responsabilité individuelle. À tous les échelons, selon une stratégie du populisme de gauche, s’installe un lien direct entre le leader et une base peu incitée à la discussion politique contradictoire et à la prise de responsabilités – mais également peu formée (sciemment ?). Ainsi est-il relativement facile aux leaders d’imposer un consensus (mou) qui consiste à entériner des décisions prise à l’avance, descendant très verticalement du centre directionnel national. Le cadre de copinage et de (fausse ?) bienveillance exacerbée, font passer la contradiction pour de la dissidence : ça casse l’ambiance quoi ! Ainsi, les différentes propositions de lignes politiques sont esquivées, les contradictions voire problèmes internes mis sous le tapis : il ne faut pas briser cette unité dans l’action ! « Agissez, ne réfléchissez pas ! » pourrait être le leitmotiv de ce mécanisme structurel. Ainsi, il n’y a pas véritablement d’espace conséquent où les divers lignes idéologiques et stratégiques puissent se confronter et être tranchées par les militants. Pas besoin il y a le programme répondront les gardiens du temple, comme s’il suffisait de s’y référer pour définir une stratégie et faire des propositions en rapport à des situations concrètes nouvelles. En somme, il n’y a pas de démocratie interne à LFI. Cette bureaucratie toute de verticalité, émanant directement de Mélenchon et de son cercle proche (Bompard), ainsi que de ses relais locaux est efficace en temps d’élections mais ne fonctionne pas en dehors. Car elle crée une lassitude militante vis à vis de cette « campagne permanente » (pour garder les troupes mobilisées) et de ce manque de démocratie interne. De plus, il faut être dans les starting-blocks pour de nouvelles élections législatives des suites d’une éventuelle dissolution ! Rien n’est moins sûr tant LAREM semble pouvoir s’accorder avec Les Républicains et le RN pour l’essentiel : l’agenda néo-libéral. Ainsi, beaucoup d’énergie et de temps sont consacrés à une (courte) « guerre » – court-termiste/électoraliste – qui n’aura peut-être pas lieu.

Tout cela éclate actuellement au grand jour du fait de la gestion désastreuse de la direction de LFI vis à vis de Quatennens et de la récente Assemblée représentative anti-démocratique. La démocratie est souvent décrite comme une gêne car inefficace : trop de temps perdu en parlotte plutôt qu’en action. Regardez EELV et le NPA disent-ils comme exemple de désastre de démocratie interne, comme si l’histoire devait se répéter inexorablement, qu’il fallait suivre leur exemple… à l’identique ! Et de voir des militants de la base relayer sincèrement ce genre d’assertion qui sert la bureaucratie (plus ou moins formelle) en place… Car bien sûr à LFI il n’y a pas de « cadres », juste des copains. Les « cadres » de fait (plus souvent informels, plutôt que des « permanents »…) dénieront souvent de l’être, masquant leur capital militant, social (le réseau), culturel et scolaire (les diplômes), si ce n’est économique. Bref, tout ce qui leur assoit un pouvoir. Car de fait cette petite bourgeoisie CPIS l’a, le pouvoir. Mais elle fait mine que non, pour, consciemment ou non, s’y maintenir : logique. Bien sûr, dévoiler leur pouvoir sera discrédité par ces premiers concernés : vous ne jouez pas le jeu ! La direction a « été choisie par cooptation, ce qui favorise les courtisans et contribue à faire taire la critique » disait Clémentine Autain. Ce mécanisme du « mouvement gazeux » se trouve à tous les échelons.

Elle plaidait dans un article de blog du 21/08/2022 pour la formation d’un parti et pour donner plus de pouvoir démocratique aux GA. Il paraît toutefois compliqué de changer ce parti-mouvement par la base si au sommet rien ne bouge et qu’un petit groupe de dirigeants décident de tout, de manière opaque. Mais des cadres mécontents de la nouvelle direction portent désormais plus publiquement la critique : Ruffin, Garrido, Corbière, Coquerel etc. Nous avons de plus pointé la sociologie de « cadres » militants issus de la petite bourgeoisie CPIS qui ne semblent pas faire de l’implantation dans le monde du travail une priorité. De plus, la ligne Ruffin priorisant dans un travail de long terme la reconquête de l’électorat populaire abstentionniste ou votant RN (notamment dans le quart nord-est de la France), semble peu prise en compte par Jean Luc Mélenchon qui préconise une stratégie électoraliste avec la création d’assemblées populaires citoyennes (« de circonscription ») dans l’attente d’une future dissolution, ainsi que des actions d’« assistance », comme de fournir aux pauvres des fournitures scolaires (ou la Caravane des droits, l’aide alimentaire, en décembre 2022 des collectes de jouets pour Noël). Pour lui, en substance, « les villes deviennent les lieux de concentration par excellence du XXIe siècle, et par-là les centres de la nouvelle conflictualité sociale ». La ville et ses réseaux sont au centre de sa théorie de L’Ère du peuple, peut-être au détriment des territoires semi-ruraux et ruraux ? De plus, l’intégration des classes populaires n’est pas affichée, une politique volontariste de « recrutement » en leur sein n’est pas de mise. Et avant cela encore, JLM se félicitait dans une conférence d’avoir empêché le RN d’être élu dans bon nombre de circonscriptions, au second tour des élections législatives de 2022, semblant indiquer de continuer comme avant : toujours l’appel à aller aider les pauvres et finalement continuer le porte-à-porte et les actions dans les quartiers populaires, comme si la seule stratégie était qu’ils votent plus encore pour LFI ou la NUPES – n’était qu’électoraliste. La question du travail et du rapport capital/travail est trop sous-estimée à LFI, à sa tête autour de JLM. Si le parti-mouvement de JLM ne change pas et ne se structure pas en véritable parti à la forme actualisée – c’est à dire plus souple et prenant des qualités de la forme-mouvement comme la liberté d’initiatives qu’elle permet –il pourrait bien finir par se déliter ou du moins stagner. Les tensions actuelles pourraient précipiter une hémorragie militante.
Cette structuration est toutefois à l’ordre du jour avec notamment l’achat de locaux dans les départements sans députés LFI élus et la création d’une école de formation des cadres prise en charge par l’Institut La Boétie, fondation insoumise. Toutefois, sans véritable espace de délibération ou se tranchent différentes lignes idéologiques et stratégiques représentées par différents courants (Ruffin, Autain), le fameux « mouvement gazeux » risque de se dissiper tout à fait. Et ce n’est pas la création du « conseil politique » décidé juste avant la Convention nationale du 10/12/2022 pour donner un os à ronger à ceux trop éloignés de la « ligne Mélenchon » (et donc écartés de la direction) qui va y changer quoi que ce soit : il n’est que consultatif !…

La LFI n’est donc pas adéquate pour construire un parti démocratique amené à se massifier, centré sur la lutte de classes, contre l’exploitation et les oppressions.

Formation et « avant-garde » : pour quelle sociologie et « terrains » de luttes ?

Nous devons donc nous concentrer sur les classes populaires, mettre en avant de nouveaux métiers en leur sein, leur redonner leur fierté. Pour cela il nous faut une formation adéquate qui ne soit pas trop rigide mais parte plutôt des réalités de leur vie quotidienne. Nous pouvons sans jargonner leur apporter des fondamentaux du marxisme, sans dogmatisme : matérialisme dialectique et historique ainsi que des éléments d’histoire, d’économie et de sociologie pour les aider à comprendre et analyser par eux-même le monde contemporain. Ainsi des militants formés auront d’autant plus de poids dans les luttes et pourront être reconnus comme « avant-garde », ou si vous préférez une expression moins connotée, comme des éléments moteurs pour comprendre les situations locales et globales, anticiper à partir d’une connaissance du passé, des luttes sociales, de l’histoire révolutionnaire et organiser, proposer, coordonner afin de renforcer l’organisation. Ils seront reconnus comme tel car ayant fait le boulot : aider au mouvement social. Ici le recrutement est clef, un travail permanent et long de militantisme nécessaire : discuter, convaincre les collègues et connaissances, les regrouper afin de sortir d’une atomisation consécutive notamment de l’émiettement dû à la désindustrialisation, à la casse de grandes concentrations ouvrières, ainsi que la multiplication des différents contrats de travail et la mise en concurrence des travailleurs entre eux, mais aussi du fait de la perte de lieux de sociabilité, en milieu rural ou semi-rural notamment.

Le travail militant consiste aussi à repérer les nouvelles concentrations de travailleurs comme par exemple chez Amazon, symbole de la tertiarisation de l’économie. Ou encore dans de grandes plateformes logistiques. Et alors d’y mettre nos forces.

Nous devons aussi investir le syndicat, les associations, différents collectifs, dans les manifestations de la vie locale, être attentifs aux mouvements en auto-organisation, y amener la question de la nécessité de l’organisation, sans toutefois y perdre trop d’énergie, nous mettre au service des « classes populaires » : évoquer la classe ouvrière (au sens large, non réductible au secteur industriel) comme sujet révolutionnaire hégémonique et contribuer à son auto-organisation.

Le centralisme démocratique ? (cf. p. 65)

Il reste d’actualité, pour des décisions majeures de politique générale et stratégique. Sans décider de tout, il peut permettre d’organiser la démocratie interne. La « forme-mouvement », elle, laisse trop de place à l’arbitraire. Il implique d’élire les cadres à tous les niveaux, la démocratie à la base : liberté de parole et unité d’action. Différentes tendances peuvent ainsi se confronter lors de congrès et aux militants de les départager. Les dirigeants doivent rendre des comptes et les mandats être révocables. Les décisions se font au consensus ou par un vote à la majorité : alors la minorité travaille pour la ligne adoptée à priori relativement proche. Des initiatives locales restent de mise tant qu’elles ne contredisent pas cette dernière, les principes statutaires et les décisions des organes de direction. Cette organisation doit permettre un va-et-vient constant entre la base et le sommet. Il convient ici de trouver une forme suffisamment souple et adaptée à « un “air du temps métaphysique” – libéral -, celui du subjectivisme, du libre arbitre et du primat de l’individu, qui, dans ses déclinaisons de gauche, confère d’emblée un avantage concurrentiel (!) aux orientations de pensée libertaires. » (15)

Plusieurs niveaux semblent nécessaires pour une organisation efficace : le local, le fédéral/département, le centre national et l’international. Un niveau régional peut pourquoi pas s’avérer nécessaire. Mais attention à ne pas multiplier les strates, il faut avoir les moyens humains et financiers de les faire fonctionner et s’articuler.

La souplesse (organisationnelle) et les nouveaux outils numériques

Nous ne pouvons fonctionner en termes de sacrifices, d’exigence excessive, être trop rigides et devons rester accessibles. Être visibles, notamment sur internet (réseaux sociaux etc.), par des tracts et journaux papier, afin que les gens sachent où nous contacter afin d’à terme rejoindre nos réunions.

3 cercles peuvent se constituer (cf. p. 122 à 124) : un noyau militant à responsabilités, d’autres adhérents peuvent être amenés à avoir plus de responsabilités, à être formés en ce sens, et un troisième cercle de sympathisants ne payant pas de cotisation car nous ayant rejoint récemment, n’étant pas encore suffisamment impliqués (car trop inexpérimentés par exemple) ou voulant garder leurs distances. Ainsi les passages d’un de ces cercles à l’autre reste possible, par étapes et validation des membres des groupes de base gardant une large autonomie et capacité d’initiative.

Les nouveaux outils numériques nous amènent à repenser le militantisme. Des tâches peuvent se faire à distance mais la réunion de groupe, dans la même pièce, reste indispensable et les décisions importantes doivent y être prises. Quant à la communication numérique, elle peut et doit servir à nous attirer plus de sympathisants, pour qu’ils deviennent ensuite des militants à part entière. Mais elle ne doit pas être surévaluée et prendre une place trop importante par rapport au travail de terrain. Notre présence sur les réseaux sociaux implique une plus grande liberté d’initiative des militants pour être réactifs et y assurer la diffusion de nos idées, être visibles, parfois grâce à la conflictualité, l’inventivité et l’humour.

La nécessité d’un lieu de vie militant 

Du moins d’un local. Pour : les réunions et les formations, entreposer le matériel militant, se rencontrer, mettre une bibliothèque à disposition, organiser des évènements festifs, culturels, d’entraide ou militants etc. Ce lieu pourrait servir aussi au mouvement social, pour ses assemblées. Ou du moins lui apporter une aide logistique : pour stocker le matériel nécessaire, se réunir, imprimer, rencontrer des associations et collectifs voire leur permettre de disposer des locaux. Bref, servir à ce que divers collectifs et individus se croisent voire travaillent ensemble.

Conclusion

Redonner une perspective large d’émancipation pour une contre-société : un néo-communisme

Le « mythe [du communisme] a semblé propulsif à un grand nombre, il a façonné les cultures et permis que la colère sociale ne devienne pas de la rage, puis du ressentiment. »

Il a permis d’assurer un horizon d’espoir.

Une véritable contre-société au capitalisme et à l’État bourgeois s’était installée, une

« Galaxie […] qui associait de l’activité partisane, syndicale, associative et culturelle», « relégitimant le désir d’émancipation ».

Citations tirées de : Gauche L’histoire, l’optimisme et la lucidité – REGARDS

« Traverser » toute la société et redonner un horizon d’espoir autour d’une « utopie positive », qui ne soit pas juste la négation du capitalisme mais un néo-communisme ayant fait le bilan critique des expériences dites du « socialisme réel » s’en réclamant. C’est mettre en avant par exemple le travail de Réseau Salariat et de Bernard Friot. C’est réaliser un travail contre-hégémonique, face à l’hégémonie néolibérale qui se fait plus autoritaire voire réactionnaire ou néo-fasciste.

Ainsi nous devons être partie prenante des mouvements sociaux en auto-organisation, des assemblées. Sans schéma préétabli à appliquer à la réalité, nous devons être attentifs à la créativité et spontanéité des masses (des gens quoi). Toutefois celle-ci n’est pas suffisante, nous pouvons aussi intervenir pour suggérer l’étape d’après comme n’importe quel intervenant. Ceci en gardant ce même horizon d’émancipation collective comme axe d’orientation stratégique. Nous ferons également partie de l’histoire en formation… Il y a parfois des points de bifurcation où une action concertée et énergique permet d’éviter le pire, nous pensons ici à une forme de néo-fascisme ou autres mouvements populaires confus voire conspirationnistes. Car les crises s’interconnectant, il est plus à craindre, si les choses sont laissées à elles-mêmes, toutes sortes de « monstruosités », plutôt que l’harmonie spontanée d’un néo-communisme débarrassé des ses tares bureaucratiques, autoritaires et militarisées.

Pour agir « dans » les masses et les futurs mouvements sociaux, il ne faudra pas nous crisper sur une identité mais participer à l’auto-construction qui produira ses nouveaux symboles, vocabulaire, revendications immédiates et perspectives plus larges.


« D’un point de vue de la configuration en trois blocs […], la gauche de rupture et l’extrême droite se trouveraient en concurrence directe pour donner une représentation à la protestation sociale, et si l’une des deux arrivait à se légitimer comme l’interlocuteur « naturel » du mouvement, elle prendrait un avantage considérable sur l’autre. Les formes et les modalités d’expression, impossibles à prévoir, d’un mouvement qui très probablement émergera seront donc décisives. Elles pourraient faciliter une interlocution avec la gauche, ou avec l’extrême droite, ou avec aucune des deux comme cela a été le cas avec les Gilets Jaunes. La gauche doit s’en préoccuper immédiatement, elle ne doit pas attendre que le mouvement éclate pour essayer ensuite de le représenter. Pour cela, elle doit être tout de suite et le plus possible présente dans tous les endroits où de la conflictualité sociale s’exprime, ce qui laisserait une chance d’orienter les formes de la protestation qui viendra dans une direction qui puisse être politiquement féconde. » (16)


Notes

(1) François Ruffin, « Pauvres actionnaires !». Quarante ans de discours économique du Front national passé au crible. Suivi d’un entretien avec Emmanuel Todd, Fakir Éditions, 2014 Amiens, p. 113.

(2) Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, nouvelle édition actualisée et augmentée, Raisons d’agir éditions, 2018, Paris, p. 194-195.

(3) Chantal Mouffe, L’Illusion du consensus, Albin Michel, 2016, Paris, p. 81.

(4) Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois… op. cit. p. 199.

(5) Emmanuel Todd, L’illusion économique, Éditions Gallimard, 1998 et 1999 pour la préface, Paris, p. 358.

(6) Julian Mischi, Le parti des communistes. Histoire du Parti communiste français de 1920 à nos jours, Hors d’atteinte, 2020, Marseille, p. 631. [c’est nous qui « soulignons »]

(7) Nanni Balestrini, Primo Moroni, La horde d’or. La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle. Italie 1968-1977, Éditions de l’éclat, Paris, 2017, p. 147.

(8) Saul Alinsky, Manuel de l’animateur social. Une action directe non violente, Éditions du Seuil, 1976, Paris, p. 58.

(9) Ibid., p.45.

(10) Ibid., p. 89.

(11) Ibid., p. 57.

(12) Ibid., . 152.

(13) Ibid., p. 171.

(14) Ibid., p. 183.

(15) Frédéric Lordon, Bernard Friot, En travail. Conversations sur le communisme, Entretiens, La Dispute, 2021, Paris, p. 76.

(16) Bruno Amable, Stefano Palombarini, Où va le bloc bourgeois ?, La Dispute, 2022, Paris, p. 154.


Pour aller plus loin

Pour une vision élargie du parti, de la stratégie et sur ce à quoi pourrait ressembler un néo-communisme

Analyse des résultats électoraux de 2022 (en termes de classes notamment)

Sur la « hiérarchie des attentes »

Sur LFI (les tensions récentes notamment)


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BD – Les Géométriquement correctes aventures

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Et plus que jamais continuons à combattre l’extrême droite !
Ahou, voilà qui est dit, portez-vous bien !

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