Le titre est de nous. Merci à Citoyen Chouette pour le visuel !
Le 24 avril sur la table de l’école élémentaire où je vote, deux piles avec deux noms, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Je ne serai pas là pour les voir.
Dès le 10 au soir, le trio Anne Hidalgo Yannick Jadot, Fabien Roussel appelaient à voter Macron pour faire barrage au Rassemblement National. Le barrage en question aura tout de la clôture pour protéger les poireaux des loirs car 1,7+4,8+3,5, si je compte bien, cela ne fait pas grand-chose. Ces trois-là se prennent encore pour des grands alors qu’ils ne sont que des membres fantômes qui entendent unir leurs forces palliatives pour combattre la gorgone fasciste. Nous voilà bien d’autant que ce sont précisément ces trois-là qui ont tricoté le tapis rouge que foulera dimanche 24 avril un des deux affreux susnommés.
Les électeurs sont donc sommés d’aller mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne pour sauver les meubles vermoulus de la cinquième république. La tension monte, les prises de positions se multiplient, les analystes de tous bords se déchaînent. Marine Le Pen est « aux portes du pouvoir » et aucune femme, aucun homme de bonne volonté ne peut se soustraire à son devoir. L’Humanité, dès le 11 avril, taillait un costard à Jean-Luc Mélenchon, taxé de cabotin et, avec un esprit de sacrifice christique, montrait la voie. Macron, pas de gaieté de cœur certes mais Macron quand même. Que le PC ait maintenu coûte que coûte la candidature de Roussel et entraîné la catastrophe actuelle, de cela, il ne sera pas question. Mieux vaut, une petite dernière fois, dire tout le mal que l’on pense de Mélenchon, un dernier orgasme avant un quinquennat d’abstinence. Libération n’est pas en reste. On tape un peu sur Macron qui n’a pas toujours été très gentil avec les gilets jaunes et qui gère la France avec la grâce d’un boutiquier repu mais bon, on concède qu’il n’a rien à voir avec Le Pen car c’est elle la vraie fasciste. L’Obs, Marianne, tous s’y mettent, mouillent leurs chemises de démocrates. Le bulletin de vote ressemble de plus en plus à un morceau de la tunique du Saint-Suaire. Peu à peu, on finit par croire car il ne s’agit plus de penser, que Macron sauvera la France et que le 25 la vie reprendra son cours, Darmanin à l’éducation nationale et Blanquer à l’intérieur.
L’électeur de Mélenchon en est pour ses frais. Il doit d’abord ravaler sa colère et supporter les commentaires. De celles et ceux, de gauche, qui ont voté, la main sur le cœur pour le candidat de leur choix : j’aime Roussel, le PC, papa était résistant, je sais que mon vote empêchera peut-être la gauche d’arriver au second tour mais tant pis. Les écolos hurlent à l’escroquerie, Mélenchon, écolo de papier, a pillé le programme d’EELV. Pourquoi voter pour une contrefaçon ? Yannick Jadot donc envers et contre tout, au mépris de toute logique. La perspective d’un second tour Le Pen/Macron, candidats pro nucléaire et fervents défenseurs de la croissance à la française, ne les effraie pas. Il faut garder les mains propres et l’âme pure.
L’abstention est paraît-il un bulletin de vote pour Marine Le Pen. Si je résume, j’aurais donc assisté, au premier tour, à la défaite de mon candidat et au second, je serai accusée de faire-le-jeu-du-rassemblement-national si je m’abstiens. Les procureurs ont pour noms, Roussel, Jadot et Hidalgo et les électeurs qui vont avec, remontés comme des coucous après l’échec de leurs poulains.
Je ne voterai toutefois pas au second tour. La démocratie, dont on nous répète depuis quelques jours qu’elle ne se résume pas à l’élection présidentielle, est bonne fille puisqu’elle permet aux pires crapules d’accéder au pouvoir avec l’assentiment du peuple.
Pourquoi alors ne pas accepter de choisir la moins pire des crapules, celle qui assied son pouvoir sur la police, celle qui privatise la santé et l’éducation, celle qui récompense les pauvres méritants qui travaillent pour une poignée de cerises, celle qui éborgne, remplit les avions de réfugiés déboutés, préfère le nucléaire aux énergies renouvelables, celle qui rend idiot. Oui, pourquoi ? L’autre crapule est pire, elle est fasciste et admire Viktor Orban et quand elle ne danse pas avec des néo-nazis en Autriche, elle fricote avec toutes les racailles de l’extrême-droite européenne. Je sais cela, je l’entends et le lis tous les jours y compris dans une presse qui a contribué à lisser la monstruosité de Marine Le Pen.
Je ne vote pas, en connaissance de cause, je ne déraisonne pas, c’est un choix. Je n’oublie pas ce que fut ce premier quinquennat. En tant qu’enseignante j’en mesure les effets chaque jour dans mes classes. Je sais aussi qu’Emmanuel Macron, animé d’une sorte d’esprit de vengeance malsain, veut finir le boulot et achever ce qui peut encore l’être. Dès le 25, ce partisan du « parti unique » (sic) et du septennat renouvelable (sic bis) reprendra la route, lâchée le temps d’une élection. Il se réjouit d’avance de parvenir coûte que coûte à ses fins. L’enfer est pavé d’yeux crevés, de mains arrachées et de contestations réprimées. Mon corps le 24 avril sera dans l’impossibilité de se déplacer, atteint d’une paralysie de tous ses membres comme d’autres corps avec lui, pour certains mutilés à vie.
La démocratie, cela n’est pas seulement la petite école élémentaire, une fois tous les cinq ans, c’est aussi le respect que je me dois à moi-même, la mémoire, l’énergie et la lutte.