Le 17 novembre 2020
Bonjour,
Nous sommes un groupe de parents gilets jaunes (ou sympathisants) qui nous intéressons de près à la question de l’éducation des enfants et à la liberté de l’instruction. Nous représentons des milieux socio-professionnels divers et vivons des situations familiales variées. Certains d’entre nous scolarisent leurs enfants, d’autres non, conformément à la loi. Toutes et tous tenons à conserver l’accès à une instruction de qualité et une liberté de choix, quel qu’il soit : école publique, école sous contrat ou hors contrat, instruction sans école, cours à distance (par correspondance), etc. À la fois gilets jaunes et parents, nous sommes confrontés à la difficulté de faire des ponts entre les différentes causes que nous défendons, même si nous avons eu maintes fois l’occasion de croiser certains d’entre vous sur les rond-points, en manifestation, lors de piquets de grève, durant nos luttes de ces dernières années.
Or, le discours d’Emmanuel Macron du 2 octobre 2020 sur la laïcité* prévoit l’interdiction pure et simple de pratiquer l’instruction en famille ou, pour le dire autrement, l’obligation pour les enfants de fréquenter l’école toute la journée, tous les jours de la semaine, de 3 à 16 ans. Il s’agit d’une énième privation de liberté, au nom de la sécurité, et d’une mesure profondément injuste. Car si bon nombre de familles sont satisfaites de l’école et n’envisagent pas d’en retirer leur enfant, personne n’est à l’abri d’un coup du sort, d’un imprévu. L’instruction hors école est choisie par des familles de toutes les catégories sociales et pour des raisons très diverses.
Nous connaissons, par exemple :
– des parents d’enfants handicapés, malades, présentant des troubles de l’apprentissage ou ayant besoin de faire une pause ponctuellement, pour qui l’école n’offre pas une solution adaptée,
– des familles aux revenus modestes qui ne peuvent offrir à leur enfant une école privée payante, sous contrat ou hors contrat, adaptée à ses besoins,
– des parents dont l’activité professionnelle prenante, saisonnière ou aux horaires atypiques ne permet pas de passer du temps avec leurs enfants pendant les vacances scolaires et les week-ends et pour qui la flexibilité de la non-scolarisation offre une solution,
– des parents souhaitant reprendre confiance en leur capacité à accompagner leurs enfants au quotidien et à leur transmettre leur culture, leur langue, leur savoir ou leur savoir-faire,
– des enfants qui subissent des violences à l’école, qu’elles soient le fait d’autres élèves ou du personnel encadrant,
– d’une manière générale, des enfants à qui l’École ne permet pas de développer leur talent et leur potentiel en ce qu’elle n’évalue que des compétences très spécifiques, au mépris de nombreuses autres (les compétences relationnelles, émotionnelles, manuelles, artistiques, la débrouillardise, l’esprit d’initiative, la spontanéité, l’esprit critique etc.).
Toutes ces familles et bien d’autres encore seraient donc fortement lésées par une suppression de la possibilité de « faire l’école à la maison ». Pour certaines, les conséquences seraient même dramatiques. Les enfants qui « ne rentrent pas dans le moule » ou qui n’ont pas, de par leur milieu d’origine, le capital socio-culturel attendu sont les grands perdants de ce système compétitif qui classe et juge les enfants. Cela génère, pour beaucoup d’entre eux, une perte de confiance et d’estime de soi, la conviction d’être « nuls » et de mériter leur sort, parfois toute leur vie durant. N’est-il pas scandaleux que, statistiquement, et contrairement à une croyance largement répandue, l’École reproduise les inégalités sociales et, pire encore, les creuse** ? D’ailleurs, la façon dont les enfants sont traités à l’école actuellement n’est pas sans similitude avec la façon dont sont traités les ouvriers et les ouvrières, les employés dans les entreprises, les chômeurs etc. Les jeunes subissent les mêmes injonctions que les adultes à travailler, à consommer et à se taire.
Il nous semble donc plus que jamais indispensable d’organiser une véritable convergence des luttes entre personnes dont les droits sont bafoués, même si les causes défendues et les modes de pensée sont a priori différents. Ce courrier est donc une première prise de contact dans l’espoir de tisser des alliances et, dans l’idéal, de mettre en oeuvre des projets communs (sensibilisation du public, actions, soutien mutuel).
Nous nous tenons bien sûr à votre disposition pour échanger et répondre à vos questions.
Fraternellement,
Camille, relectrice à temps partiel, maman solo d’un adolescent dysgraphique et dyspraxique non scolarisé (cours par correspondance) et d’une fille scolarisée à l’école publique (Picardie/Île de France).
Ekiben, cuisinière auto-entrepreneuse et mère de deux jeunes personnes qui apprennent ailleurs qu’à l’école depuis toujours (Tarn).
M., mère au foyer de deux enfants non-scolarisés (Occitanie).
S., mère d’un 19 ans et d’une 17 ans, jamais scolarisés sauf cinq mois pour la seconde en lycée. Mes raisons ont toujours été liées à un accompagnement le plus soutenant possible dans la construction d’individus libres de penser, de s’exprimer, de choisir leurs chemins de vie sans devoir se conformer à des normes déterministes. Militante active au sein des GJ de janvier 2018 à novembre 2019, j’ai vu tant de liens entre les réflexions menées dans le milieu de l’instruction en famille et celui des GJ, que ce soit au sein des AdA, sur les rond-points, lors des discussions pendant les manifs entre deux gazages que cette convergence me paraît évidente depuis longtemps désormais (Pays Cathare).
Brigitte, mère de quatre personnes majeures maintenant, ingénieur domestique en reconversion, engagée pour l’ouverture de la cage éducative et sociétale des personnes mineures (Nouvelle Aquitaine).
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Si vous souhaitez approfondir votre réflexion sur la question de la liberté d’instruction, en savoir plus sur les familles non-scolarisantes ou entrer en contact avec elles, voici à titre purement informatif différentes associations de parents ne scolarisant pas leurs enfants (appelées parfois associations IEF pour « instruction en famille »). Elles sont indépendantes les unes des autres et n’ont pas toutes la même sensibilité politique (nous ne les représentons évidemment pas et nous vous écrivons de manière indépendante).
Led’a (Les enfants d’abord), www.lesenfantsdabord.org
Laia (Libres d’apprendre et d’instruire autrement), laia-asso.fr
Cise (Choisir d’instruire son enfant), cise.fr
Collect’ief, www.collectief.fr
LAM (Libres apprenants du monde), ivresdenfancelib.canalblog.com
Etc.
* Le 2 octobre 2020, dans le cadre du projet de loi renforçant la laïcité et les principes répu- blicains, le Président de la République a annoncé : « Dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé. »